La dépression accrochée hier en son versant Sud Est a bien la virulence attendue et c’est dans des vents de 30 à 35 nœuds que le grand trimaran IDEC progresse à plus de 20 noeuds de moyenne depuis 24 heures. Et comme dans l’Indien ou le Pacifique, Joyon paie de sa personne et de son sommeil pour garder équilibre et trajectoire dans les longues glissades à 27 et 28 noeuds, de nuit, sur une houle accusant les 5 à 6 mètres de creux.Comment ménager si près du but une monture fatiguée qui ne demande face aux grands espaces proposés qu’à se lancer à corps perdu aux allures débridées? Francis Joyon y consacre depuis 48 heures et sa dernière escalade dans le mât, toutes ses pensées et toute son énergie. IDEC a retrouvé les conditions pour lesquelles il a été conçu, vent fort aux allures portatives et longue houle musclée. Sous deux ris et gennaker, point de pédale de freins pour le skipper solitaire qui doit, dans ses choix de trajectoires, concocter pour son vaisseau usé par près de 26 000 de sprint, les enchaînements les moins brutaux possibles entre les trains de houle. De jours comme de nuit, Joyon est depuis 56 jours passé maître en l’exercice. Au compteur, les marques quotidiennes se chiffrent à nouveau à 480 nautiques parcourus à plus de 20 noeuds de moyenne.Joyon ne dort vraiment que d’un oeil, attentif à toute variation de la force et de la direction du vent, vigilant à la bonne tenue des 9 tonnes du bateau sur les vagues puissantes de l’Atlantique, connecté surtout au pouls de son navire ; un pouls qui bat parfois la chamade quand certains postes cruciaux à sa bonne marche menacent de lâcher, à l’instar de cette drisse de grand voile usée et proche de la rupture. La proximité du plateau continental, le trafic des cargos et des navires de pêche et l’arrivée sur les côtes bretonnes vont accentuer le stress avoué de cette fin de course. Prudent dans ses propos comme dans sa gestion du voilier, Joyon se refuse encore à s’engager sur une heure d’arrivée. Son grand voyage touche à son terme pourtant. Et si l’homme Joyon aspire à retrouver êtres chers et terre ferme, le marin profite encore et toujours de la magique alchimie entre l’eau, l’air et son grand bateau. « C’est la fin d’un grand voyage, et la mer est un milieu attachant, c’est pourquoi il est dur de s’arrêter… »La vacation du jour a donné ce matin la possibilité en direct sur le site www.trimaran-idec.com à une douzaine de journalistes d’interroger Francis. Le skipper d’IDEC, toujours lancé à plus de 20 noeuds s’est prêté de bonne grâce à l’exercice, répondant avec sa gentillesse habituelle à toutes les questions, délivrant ici et là des réparties déconcertantes. Francis Joyon : « J’ai beaucoup appris sur la météo durant ce tour du Monde ; la collaboration avec Jean-Yves Bernot a été intéressante. Elle m’a permis d’appréhender avec plus de finesse l’analyse des phénomènes météo. » »J’ai la satisfaction d’effectuer un beau parcours. Je fais cela parce j’aime le faire. Je ne le fais pas par ambition personnelle… » »Les records sont faits pour être battus. Mon temps en 2003 paraissait intouchable. Et pourtant Ellen MacArthur, en réalisant une performance extraordinaire, l’a battu l’année suivante.. » »Il y a eu deux moments de grande inquiétude ; une fois dans le Sud, au milieu des glaces alors que la tempête se levait, et dans le pot au Noir, quand j’ai découvert que je risquais le démâtage… » »La dislocation de la banquise et la dérive des icebergs à des latitudes inhabituelles m’ont beaucoup interpellé. Mon temps sur ce tour du monde signifie aussi que la planète n’est pas si grande que cela, et que nous aurions grand intérêt à nous en préoccuper davantage… »
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