Francis Joyon et son équipage ont mis un terme cette nuit à l’Acte 2 de l’IDEC SPORT ASIAN TOUR par ce premier temps de référence établi entre l’île Maurice et Ho Chi Minh Ville au Vietnam. Après avoir établi un nouveau record en solitaire sur la Mauricienne le mois dernier, le détenteur du Trophée Jules Verne et vainqueur de la dernière Route du Rhum est arrivé au Vietnam ce mercredi 4 décembre à 3 h, 27 mn, 54 secondes TU (4h27 en heure française), au terme de 12 jours, 20 heures, 37 minutes et 56 secondes de navigation entre l’île Maurice et le Vietnam.
L’équipage d’IDEC SPORT va devoir désormais embouquer la rivière qui remonte vers Ho Chi Minh, soit 6 à 8 heures de navigation fluviale avant de s’amarrer devant l’ex Saïgon !
Retour sur l’IDEC SPORT ASIAN TOUR – Acte 2 :
Francis Joyon avait quitté l’île Maurice le 21 novembre dernier, accompagné de Christophe Houdet, Bertrand Delesne, Antoine Blouet et de son fils Corentin, pour établir un premier temps référence sur une route très peu fréquentée par les navigateurs de course moderne. Cette route qui mène de l’île Maurice à Ho Chi Minh Ville, au travers de l’océan Indien et de la mer de Chine méridionale. Au terme de 12 jours, 20 heures, 37 minutes et 56 secondes d’une aventure maritime pleine de contrastes et de surprises, IDEC SPORT est venu ce matin s’amarrer dans la ville d’Ho Chi Minh (ex Saïgon), terminal d’un parcours long théoriquement d’environ 4 000 milles, mais qui aura contraint, météo oblige, Francis et ses hommes à naviguer sur 5 400 milles de l’océan Indien à la mer de Chine. Hautes vitesses, calmes plats, longues houles du Grand Sud, fort clapot des mers fermées de Chine et de Java, désert maritime et routes commerciales très fréquentée, frimas des latitudes antartiques, chaleur accablante de l’Indonésie, l’Aventure majuscule attendue n’aura certes pas fait défaut aux cinq marins souvent subjugués par les merveilles et autres incongruités des paysages maritimes de l’extrême orient.
Trois nuances de gris
C’est une épopée en trois nuances de gris que viennent de vivre Francis, Corentin, Christophe, Bertrand et Antoine. Gris lumineux des mers du Sud, gris brumeux et fumeux du détroit de Karimata, entre Sumatra et Borneo, et gris plombé de la mer de Chine secouée par de puissants flux de Nord Est. La parenthèse du Sud s’est vite refermée pour faire place à des latitudes chaudes, bouillantes même , notamment lors du passage de l’équateur dignement fêté au large de Borneo pour Antoine Blouet, seul novice du bord en la matière.
A fond dans le sud de l’Océan Indien
A l’azur du ciel et l’émeraude des mers de l’île Maurice s’est vite substituée la luminosité du Grand Sud. Car, dans sa quête du détroit de la Sonde, porte d’entrée vers la mer de Chine, Francis et ses marins, conseillés depuis la terre par le météorologue Christian Dumard, ont choisi délibérément de plonger vers les latitudes du très Grand Sud, par 37 degrés de latitude Sud. L’idée maitresse dans cet Asian Tour long de plus de 27 000 milles était de préserver le matériel, loin de toute base technique accessible, et de naviguer aux allures portantes chaque fois que possible, en privilégiant la vitesse aux routes les plus courtes. Les 3 000 miles qui séparent l’île Maurice du sud de Sumatra se sont ainsi transformés en 4 200 milles d’une cavalcade débridée travers aux alizés de Nord Est de l’océan Indien. A près de 23 noeuds de moyenne sur le fond, en signant au passage quelques stupéfiantes journées à près de 750 milles avalées en 24 heures, sans faire souffrir le bateau et en jouissant sans retenue des merveilles du Sud, Francis Joyon ralliait en son 8ème jour de course l’Indonésie.
Aux mystères de l’Asie
Commençait alors la partie la plus mystérieuse de ce périple asiatique. Francis le chasseur de records se muait en explorateur, en découvreur de mers inusitées par la course au large moderne. La puissance des courants contraires qui dévalent le long des rivages de Sumatra, associée à l’absence totale de vent, plongeait le maxi trimaran dans des abysses de lenteur. « On s’est battu durant trois jours comme des chiffonniers pour ne pas reculer » atteste Francis. Partagé entre curiosité, fascination et impérieuse nécessité de veiller aux grains les plus inattendus, bateaux de pêche, îlots et drôles de baraques de pêcheurs en bois posées au milieu de l’eau, l’équipage d’IDEC SPORT a puisé loin dans ses réserves physiques pour maintenir un semblant de progression et s’extraire de cette zone désertée par le vent. « L’accablante chaleur nous a beaucoup surpris, par sa brutalité et son immédiateté » décrit Bertrand Delesne, boat captain d’IDEC SPORT. « Dormir était devenu impossible, l’intérieur du bateau transformé en véritable étuve. Nous essayions à tour de rôle de grappiller quelques minutes de somnolence, allongés dans les filets. » Au près, multipliant les virements de bord et les changements de voiles au gré des tout petits airs qui baignent les îles de Bangka et Belitung, les hommes d’IDEC SPORT, tout à leur émerveillement, parvenaient à s’extraire du détroit de Karimata en logeant au plus près des rivages de Borneo. Bilan, 550 milles parcourus en trois jours ! Une misère à l’échelle du formidable potentiel du bateau.
Une mer de Chine sans pitié
C’est à l’approche des îles Natuna, dans le Nord-Ouest de Borneo, qu’aux brumes indonésiennes succédait un ciel plus familier aux regards de Joyon et de ses hommes. Celui des grains chargés de pluie et de vent. Là encore, avec une étonnante soudaineté, le vent montait à près de 30 noeuds ! Plus que jamais, le mot d’ordre du bord était à la vigilance et à la sauvegarde du matériel. « IDEC SPORT a été lancé en 2006 » soulignait Bertrand Delesne, « et nous détestons le voir souffrir ». Car c’est bien un chemin mal pavé qui attendait le glorieux trimaran pour ses 500 derniers milles en mer de Chine. « Des creux de plus de 4 mètres, dans notre axe de progression, faisaient sauter le bateau dans tous les sens » poursuit Francis. « A l’intérieur, impossible de dormir. On faisait des bonds de 20 cm dans notre bannette. » Sagement, Francis arrondissait la route, afin d’attaquer les vagues et le vent par le travers, préservant jusqu’au bout sa fidèle machine. Restait à gérer l’atterrissage sur la péninsule indochinoise. Un nouvel épisode de petit temps s’imposait aux marins fatigués, contraints une nouvelle fois à guetter les mille et une surprises de ces plans d’eau si fréquentés et si peu régulés. Francis attendait sagement les premières lueurs du jour avant de glisser les étraves de son trimaran géant entre jonques et sampans vers Vung Tau, le grand port commercial au Sud d’Ho Chi Minh.