Entre anticyclone et dépressionLe moins que l’on puisse dire, c’est qu’à bord du trimaran géant IDEC, les motivations pour aller vite, très vite, ne manquent pas. Il y a bien sûr cette envie naturelle du marin Joyon de garder en permanence le curseur dans les hauts degrés du speedomètre. Mais il y a aussi sur l’eau, quelque part dans le Sud Ouest du continent africain, la conjugaison de deux puissants facteurs météos entre lesquels cavalent le multicoque rouge. Dans son Nord se tient en effet la menace réelle d’un affaissement vers le Sud du fameux anticyclone de Sainte Hélène. Francis en redoute les calmes comme la peste. Et se profile dans le tableau arrière d’IDEC le spectre d’une dépression très creuse bien typique de ces parages inhospitaliers, qui arrive par l’ouest de toute la force de ses 40 noeuds et plus de vent glacial. « Je dois prolonger mon bord actuel au moins jusqu’à 44 degrés Sud » explique Francis. « Les 20 à 22 noeuds de vent de secteur Nord que j’ai actuellement me permettent de glisser sans heurt à grande vitesse, 25-26 noeuds en permanence, car la mer est bien lisse et le bateau passe merveilleusement bien… Lorsque le centre dépressionnaire qui évolue dans mon Ouest va me rattraper, la conjugaison du vent de Nord et de la houle de Sud va créer un effet « bouilloire » sur lequel il sera moins aisé d’aller très vite… » IDEC se gave donc littéralement de milles. Plus de 580 avalés à la mi-journée lors des dernières 24 heures. La barre des 600 milles semble parfaitement accessible à l’étonnant duo Joyon-IDEC. « J’essaie de préserver le matériel et passer Bonne Espérance, je naviguerai de manière un peu plus conservatrice car je serai alors dans des zones où il n’est jamais agréable de devoir effectuer des réparations, aussi infimes soient elles. »Une grosse satisfaction« Arriver si vite dans les 40èmes est bien sûr une grosse satisfaction » avoue Joyon. A 750 milles de la longitude du Cap de Bonne Espérance, le marin de Locmariaquer est en passe d’ajouter son nom en haut des tablettes de référence de ces grands passages, après avoir déjà signé un formidable temps à l’Equateur. En franchissant ce premier des trois grands caps qui scandent traditionnellement les circumnavigations (Bonne Espérance, Leeuwin, Horn) en 15 jours et demi, Francis le solitaire améliorerait les temps, non seulement de Dame Ellen en 2005, mais aussi des grands multicoques Géronimo et Orange menés en équipage en 2003 et en 2002… Des satisfactions d’ordre sportif auxquelles Francis associe volontiers le plaisir personnel de mener avec aisance un voilier visiblement bien pensé, bien conçu et bien construit. Les choix techniques décidés en toute complicité avec les architectes Benoit Cabaret et Nigel Irens, et le constructeur Lorientais Samuel Marsaudon, trouvent sur l’eau toute leur justification, jusqu’au choix très écologique de Francis de naviguer propre autour du monde ; « Mon Eolienne charge mes batteries à bloc. Je n’ai pour l’instant pas eu recours ni à mes panneaux solaires, ni à ma pile à combustible… »Alors que les premiers albatros commencent en planant à accompagner de loin le vol d’IDEC, les températures chutent, la lumière se fait plus blanche et plus laiteuse. Francis Joyon au sommet de sa forme, aborde le grand morceau de bravoure des tours du monde, ce Sud mystérieux et avouons le, si effrayant. Et le marin de Locmariaquer de nous laisser avec cette énigmatique pensée du jour ; « L’harmonie du multicoque, c’est le stress… »
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