La « flèche rouge » va vite, certes, et Francis est l’un des rare marin à savoir en tirer la quintessence. Cette performance a cependant un prix, celui du risque, physique et stratégique, de la fatigue, humaine et mécanique. Le passage hier après midi de la « chicane obligée » des Canaries en est la parfaite illustration. Derrière la flatteuse réalité des chiffres, se cache en réalité un combat, une lutte de tous les instants du marin solitaire avec ou contre sa machine, avec ou contre les éléments. Gran Canaria attendait Joyon, avec une vicieuse zone de dévent qui a immobilisé sur une mer grosse et mauvaise le trimaran géant durant plus de 30 minutes… plus loin, Ténériffe proposait un tout autre régime, à base de grains violents qui ont, en une gifle magistrale propulsé les 30 mètres du voilier vers l’ouest et l’immensité Atlantique.Et l’homme dans tout cela ? Francis l’incassable a fait front, de nuit et dans les paquets de mer, il a, à grandes brassées, affalé son immense grand voile, envoyé sa trinquette, sécurisé au maximum sa plate-forme malmené… avant d’effectuer les mêmes manoeuvres quelques minutes plus tard… à l’envers cette fois, pour redonner puissance et inertie à sa machine dans le vent enfin stabilisé….IDEC le goulu dévore depuis l’Atlantique à grands rebonds au dessus de la forte houle qui frappe les étraves du multicoque sur l’avant. Toujours physique, le combat du marin donne désormais dans la finesse et la subtilité. Le gladiateur s’est fait trapéziste, choquant les écoutes en grand dès que la coque centrale s’élève un peu trop au dessus des flots, pour mieux les reprendre dans l’instant afin de tutoyer en permanence les 28 ou 29 noeuds… « Oui c’est grisant » avoue t’il pourtant et malgré une privation de sommeil qui ne semble altérer ni sa puissance physique pas plus que sa capacité d’analyse ; « Les conditions actuelles sont propices pour faire du chemin ; j’en profite au maximum… » Si les muscles du gladiateur travaillent désormais avec un implacable automatisme, les neurones de l’artiste sont eux en perpétuelle ébullition. Que réserve l’avenir? Installé à l’Ouest Nord Ouest, le vent impose d’acrobatiques figures au trimaran en quête de gains sur la route directe. S’en écarter donnerait plus de stabilité au grand voilier mais rallongerait la route… Joyon cherche le compromis. Insensible aux chiffres, son regard bleu se détache un instant du mouvement de ses penons et de l’axe de la prochaine vague ; « Il y a de beaux cumulus et le soleil chauffe bien… il faudra que je pense à enlever mon ciré… »
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