Mais tous n’y mènent pas à la même vitesse. La distance qui relie Saint Malo à Pointe à Pitre en Guadeloupe est de 3 542 milles (6 559 km – 1 mille nautique équivaut à 1,852 km). Il s’agit d’une distance dite « orthodromique », désignant la route la plus courte à la surface du globe terrestre entre deux points. A l’évidence, les navigateurs qui partiront dimanche ne vont pas s’aligner et suivre cette route théorique. C’est en réalité le jeu complexe du déplacement des masses d’air sur l‘Atlantique qui déterminera leur trajectoire finale, souvent très éloignée et infiniment plus tortueuse que cette fameuse orthodromie. A l’aide d’instruments de prévision météo de plus en plus sophistiqués, sous la forme de fichiers couplés à des logiciels de routage qui déterminent des choix de route optimum en tenant compte des capacités intrinsèques de chaque bateau, les marins vont se frayer un chemin entre dépressions et anticyclones, à la recherche des angles au vent les plus favorables à la vitesse vers la marque. Une masse d’air est une sorte d’immense bloc d’air chaud ou froid qui ne se mélange pas avec une autre masse d’air. Quand deux masses d’air se rencontrent, la masse d’air la plus chaud monte. L’endroit où les masses se rencontrent s’appelle le front. La Terre, en tournant va entrainer les masses d’air avec elle (Force de Coriolis). Les masses d’air tournent de manière inversées entre les hémisphères Nord et Sud. C’est pour cela que les dépressions tournent dans le sens anti-horaire au Nord et horaire au Sud. Et l’anticyclone tourne toujours dans le sens inverse de la dépression. C’est ce grand principe qui va déterminer les trajectoires des bateaux en route vers les Antilles. En novembre, et c’est déjà le cas cette semaine, les dépressions d’Atlantique Nord sont très actives, puissantes et rapides. Selon leur centre et l’axe de leur déplacement d’Ouest en Est, elles génèrent des vents forts majoritairement orientés Ouest et Sud Ouest sur la pointe de Bretagne et la sortie de la Manche. Elles constituent la première difficulté majeure pour les navigateurs solitaires, qui vont devoir choisir entre des routes rapides et difficiles vers l’Ouest, voire Nord Ouest, ou des routes plus lentes mais plus sages au Sud Ouest. Pour mémoire, la pointe de Bretagne se situe par 47° de latitude Nord, et la Guadeloupe, 16° N. L’idée est d’aller chercher les fameux alizés, véritables autoroutes entre les rivages Mauritaniens et les Antilles. Les alizés prennent leur source dans les vents confluents depuis les anticyclones des Açores et de Sainte-Hélène. Les vents entre ces anticyclones (supérieur à 1020 hecto pascals) et les basses pressions équatoriales (1012hPa en moyenne) acquièrent progressivement une composante zonale d’Est à cause de la force de Coriolis. Elles offrent aux voiliers un angle très favorable à la vitesse, dans des régimes de vent soutenus. C’est alors l’état de la mer, plus ou moins bien rangée, qui permettra ou non d’appuyer fort sur l’accélérateur vers la Guadeloupe. Mais un régime d’alizé n’est jamais exempt de multiples petites cellules dépressionnaires, orageuses, qui viennent compliquer ce schéma idyllique. La Route du Rhum est ainsi pavée de toutes les subtilités offertes par ces jeux de masses d’air, capables de générer de forts vents contraires, ou de piégeux alizés, parsemés de grains et de zones de transition déventées entre deux systèmes.
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