Le maxi-trimaran IDEC SPORT mené par Francis Joyon, Bertrand Delesne, Christophe Houdet, Antoine Blouet et Corentin Joyon, s’est adjugé ce mercredi 19 février 2020 le record de la Route du Thé entre Hong-Kong et Londres. Il signe un temps de 31 jours, 23 heures, 36 minutes et 46 secondes.
En s’emparant du record de la Route du Thé, Hong Kong – Londres en un peu plus d’un mois, Francis Joyon et ses quatre hommes d’équipage ont non seulement battu le temps de Giovanni Soldini de 4 jours, mais aussi quasiment divisé par trois le temps de navigation des grands clippers du XIXème siècle ! Tout au long de ses 15 000 milles parcourus à 20,7 noeuds de moyenne, le maxi-trimaran aura connu à peu près toutes les conditions de vent, de mer, de soleil, de températures, de glisse, de pièges, de surprises, de chahut et d’inconfort. Mer de Chine, Océan Indien, Atlantique Sud et Nord, c’est plus d’un demi-tour du monde que les 5 marins ont accompli à une allure record, poussant en permanence le curseur de la performance, tout en préservant avec une attention teintée de tendresse leur vénérable monture lancée en 2006, triple vainqueur de la Route du Rhum et détenteur du Trophée Jules Verne. Retour sur le record de la Route du Thé conquis de haute lutte.
Près d’un jour et demi d’avance à Bonne Espérance
Fidèles à eux même, c’est sans s’imposer le moindre stand-by météo que Francis Joyon et ses hommes décidaient le samedi 18 janvier dernier, avec la bénédiction de leur conseiller météo à terre, Christian Dumard, de larguer les amarres et de quitter Hong Kong, avides de retrouver le large et le petit périmètre de vie de leur grand trimaran. La mer de Chine, en sa partie méridionale notamment, le long des rivages de Borneo et de Java, s’était quelques semaines auparavant montrée sous un jour inhospitalier aux marins d’IDEC SPORT, avec ses calmes plats désespérants, ses bancs de brume et ses innombrables obstacles flottants dissimulés le long des centaines d’îles et îlots indonésiens. Mais en cette configuration retour, des flux de Nord Est allaient d’emblée propulser IDEC SPORT sur une trajectoire efficace vers le détroit de La Sonde, porte d’entrée de l’océan Indien entre Sumatra et Java. Joyon s’y présentait avec déjà près de 300 milles d’avance sur le record, au terme de 4 jours d’une navigation rapide et enchanteresse, les longues et virginales plages de sable blanc de Malaisie s’offrant sans retenue aux regards émerveillés de l’équipage. IDEC SPORT retrouvait l’Océan Indien, avec une certaine appréhension due à la menace, du côté de Madagascar, de l’arrivée de cyclones tropicaux. L’alizé si puissamment présent lors du passage Aller, avait déserté le plan d’eau Indien et c’est loin dans le Grand Sud que Francis, Christophe, Bertrand, Antoine et Corentin plongeaient chercher leur salut. Par 35 degrés de latitude Sud, Francis renouait avec ces incomparables lumières de l’Indien, et Corentin découvrait avec éblouissement ses premiers albatros.
En 8 jours d’une belle cavalcade à plus de 25 noeuds de moyenne, IDEC SPORT portait à 824 milles son avance record sur son adversaire virtuel, avant de négocier au petit trot le délicat passage à Bonne Espérance. 14 jours, 17 heures et 29 minutes après leur départ de Hong Kong, et après avoir parcouru 7 590 milles à 21,7 noeuds de moyenne, il affichait un gain sur le chrono record de 1 journée, 8 heures et 56 minutes. Une première satisfaction pour un équipage soumis deux semaines durant aux humeurs tempétueuse de l’Indien, mal pavé de bout en bout : « L’Océan Indien est plein de secrets, et nous ne les avons pas tous découverts. » avouait Francis. « Il a des humeurs qui ne correspondent absolument pas à ce que nous indiquent nos fichiers météo ! Nous naviguons parfois à l’envers des systèmes météo ». Entre centre de hautes pressions à contourner, et dépressions à négocier souvent travers au vent, voire au près, IDEC SPORT rebondissait de systèmes en systèmes, secoué par les violents passages de fronts, sollicitant en permanence son équipage réduit pour établir les voiles du temps, et surtout réagir avec la plus grande maitrise aux brutales sautes du vent, conjuguées à une mer propice à voir le grand trimaran lever très haut étraves et flotteurs !
L’Atlantique Sud peu coopératif
L’entrée en Atlantique est une libération. L’Indien s’est montré certes rapide, mais au prix de lourdes sollicitations du bateau en lutte face à la houle d’Ouest. Deux options s’offrent alors aux hommes d’IDEC SPORT. Suivre une route au plus près des côtes de Namibie, comme l’avait fait deux ans plus tôt Giovanni Soldini, ou chercher un point de passage du pot au noir au plus près des côtes du Brésil. Francis hésite. Les perspectives dans le golfe de Guinée ne l’enchantent guère. Le 3 février, fort d’un joli matelas de 740 milles d’avance, Francis tranche ! Cap au Nord-Ouest, vers Sainte Hélène et son étrange silhouette volcanique en forme de chapeau… de Napoléon. Le contournement de l’anticyclone éponyme se passe à merveille, Francis, Christophe, Bertrand, Antoine et Corentin s’offrent le rare plaisir de glisser au plus près de l’île mystérieuse. Mais l’Atlantique Sud n’en a pas terminé avec les audacieux navigateurs. Il s’alanguit en sa partie équatorienne loin en latitude comme en longitude. Fort de la vitesse intrinsèque de son maxi-trimaran IDEC SPORT, Francis relève le défi et pousse au plus loin son option Ouest. C’est alors qu’une petite onde dépressionnaire choisit de se former pile sur la route du Brésil. IDEC SPORT n’a d’autre choix que de la contourner par l’Est, brisant net sa belle stratégie initiale. Débute alors un long chemin de croix, parsemé de trous d’airs, de grains parfois, et à l’approche de l’équateur, de vastes zones totalement déventées. La belle avance fond comme neige au soleil et à l’aube du 12 février, IDEC SPORT déplore 84 milles de retard sur son concurrent…. A défaut de virulence, le pot au noir est très vaste et le marasme météorologique semble prendre plaisir à paresser devant les étraves du trimaran géant. « Avec un tel Atlantique Sud, jamais nous n’aurions battu le record du Trophée Jules Verne! » s’exclame Francis, un brin déconcerté. Mais l’alizé de Nord-Est est bien présent. Francis et ses boys retrouvent avec plaisir cet Atlantique Nord qui fleure bon la maison. IDEC SPORT s’ébroue et sans transition allonge son immense foulée. Le reste est d’un classicisme absolu. Joyon et ses marins visent un passage dans l’Ouest Açorien, traversent l’anticyclone en son point le plus étroit, et rejoignent sans coup férir les forts flux des Nord-Ouest qui déferlent sur l’Europe. Les écarts au compteur remontent aussi vite qu’ils avaient fondu. En 5 jours, ils reprennent les 800 milles perdus au large d’Ascension. Au terme d’un long mois de mer, IDEC SPORT glisse sous le cap Lizard et aborde la dernière ligne droite de son colossal pari, la remontée de la Manche et l’entrée dans la Tamise.
Une lutte jusqu’au bout !
Rien n’est jamais donné à Francis Joyon, et ses plus grands exploits sont toujours marqués du sceau de l’imprévu, voire de l’impossible. En ces dernières heures de course, si cruciales tant la Manche et le grand fleuve londonien recèlent de pièges, IDEC SPORT navigue quasiment en aveugle. A court de gas-oil, ses cellules photovoltaïques privés de soleil, les hommes du bord manquent d’énergie. Radar, ordinateur, et donc, accès à l’AIS, ne sont plus accessibles. Et avec la dernière nuit de ce formidable record qui tombe sur l’Est de l’Angleterre, c’est une navigation de tous les dangers qui s’avance. Francis ralentit la cadence, préférant attendre les premières lueurs du jour pour négocier les si piégeux derniers milles. Après de longues heures à tirer des bords contre le vent dans la Tamise – l’équipage avouera avoir virer de bord un soixantaine de fois- IDEC SPORT rejoindra enfin Londres, point final de la Route du Thé et épilogue de l’IDEC SPORT ASIAN TOUR 2019-2020.